Manon Andrieu, alias La Rumeur blonde, est l’une des créatrices inspirées installées sur le bas des pentes de La Croix-Rousse. Blonde, pétillante, look de baby doll, elle imagine et conçoit headbands et accessoires de mode. Son truc à elle : l’omniprésence du cuir, une matière découverte alors qu’elle étudiait le stylisme et la mode. Sa boutique est à un son image, girly et colorée. Assise devant un grand miroir, genre je suis une princesse, Manon te fait essayer ses bijoux de tête. Délicatement, elle fait ressortir une petite mèche, et t’explique comment les porter. Ca te plait, bingo ! Ca ne te plait pas, aucun problème, tu essayes autre chose. Et si tu n’arrives pas à te décider, don’t worry, ce sera pour une prochaine fois. Manon ne force pas la main de ses clients. Elle déteste les commerçants trop empressés. Alors faire la même chose, c’est même pas la peine d’y penser. La jolie blonde a des convictions. C’est d’ailleurs en leur restant fidèle qu’elle est parvenue à construire son identité créative. Retour sur un parcours dicté par les élans du coeur.
Comment t’est venue l’idée de te lancer dans la création d’accessoires de mode ? J’ai fait des études de stylisme à Lyon (ESMOD). A la fin du cursus, les élèves devaient effectuer six mois de stage en entreprise. A l’époque, j’étais plus orientée vêtement. Je me suis donc dirigée vers une maison de haute couture. Je me suis pas sentie à ma place : Paris, le luxe ce n’est pas un monde super bienveillant. Tu vois Le Diable s’habille en Prada, c’est à peine exagéré. Ca ne me correspondait pas du tout. J’étais aussi très mal à l’aise avec l’idée que des vêtements vendus si chers puissent être fabriqués en Chine avec tout ce que cela implique au niveau des conditions de travail des ouvriers. J’ai fait le choix de quitter cette entreprise et d’effectuer mon dernier mois de stage avec la créatrice de bijoux Marine de Diesbach. Elle m’a tout de suite envoyée sur des marchés de créateurs. Là, j’ai découvert un monde qui m’était totalement inconnu : celui des petits créateurs. Non seulement, ils fabriquaient eux-mêmes leurs créations mais en plus ils en vivaient ! J’ai tout de suite connecté avec l’ambiance et la mentalité de ces personnes.
Et ensuite ? A la fin de mes études, je suis retournée vivre chez ma mère en Savoie. J’ai commencé à regarder les annonces de boulot…. Il n’y avait pas grand-chose. Et il y avait encore moins d’offres en province et encore moins si tu avais moins de cinq ans d’expérience. Je me suis dit : « Au lieu d’attendre une annonce miraculeuse, commence à faire des trucs ». Il me restait des pièces de cuir utilisées lors de la conception de ma collection de fin d’année. Je me suis installée à mon bureau et je les ai utilisées pour faire des bijoux et des headbands. Je présentais mon travail sur un blog. Quand j’y repense, ça faisait tellement amateur ! Je faisais le modèle et prenais la pose dans le jardin. Ma mère était derrière l’appareil et faisait les photos. Un jour, j’ai posté un lien vers mon site sur ma page Facebook. Des amis ont partagé. Et J’ai reçu des messages de marchés de créateurs. Ils aimaient mes réalisations et me proposaient des emplacements. Avec le recul, je me dis que c’est assez dingue. C’est difficile d’obtenir des places pour ce genre de marchés. J’ai fait mon premier marché à Lyon. L’emplacement coûtait 80 euros. Aujourd’hui, je sais que ce n’est pas beaucoup mais à l’époque, ça me paraissait énorme. J’étais morte de trouille. Vendre pour 80 euros de bijoux : mission impossible. En fait, ce jour-là, j’ai réalisé un chiffre d’affaires de 500 euros.
C’est important pour moi de proposer des articles qui puissent être portés par toutes les femmes
Pourquoi des accessoires ? Au départ, je voulais faire des vêtements. Mes années d’apprentissage en école de stylisme m’ont fait changer d’avis. Je n’en pouvais plus de réaliser des pièces en taille 38 pour des filles très minces et dans lesquelles je ne pouvais même pas rentrer. C’est important pour moi de proposer des articles qui puissent être portés par toutes les femmes. Avec les accessoires – et encore plus avec les headbands – il n’y a pas d’histoires de morphologie. Petite, grande, mince ou ronde, ça va à tout le monde. Et en plus, ça rehausse ta tenue en un claquement de doigt.
Quand as-tu décidé d’ouvrir ta propre boutique ? J’ai travaillé en alternant salons et marchés pendant un an et demi. Dans le même temps, plusieurs de mes copines créatrices ont ouvert leur boutique. Ca m’a vendu du rêve : avoir un endroit à moi, avec ma déco et des clients qui viennent me voir dans mon espace. Puis, il y a eu un concours de circonstance. Longtemps, mes parents m’ont prêté une pièce dans leur agence. C’était mon atelier. A un moment donné, ils ont eu besoin de récupérer cette salle. Il fallait que je trouve un plan B. Rapidement. J’ai d’abord pensé au Village des créateurs du passage Thiaffait à Lyon. Il y avait des démarches de dingue, un business plan à présenter. Ce n’était pas dans mes compétences. Et surtout, je n’avais pas du tout envie de ça. En sortant de mon rendez-vous avec l’un des responsables du Village, je me suis perdue dans les petites rues du 1erarrondissement. Je suis arrivée dans une rue improbable avec plein de boutiques fermées et des panneaux à louer sur toutes les vitrines. C’était la rue Romarin. J’ai pris les coordonnées de toutes les agences et les appelées une par une jusqu’à à obtenir un rendez-vous pour une visite. C’était une ancienne galerie d’art gothique ! Malgré ça, j’ai tout de suite vu le potentiel et le loyer était vraiment abordable. J’étais morte de trouille. Qu’allait-il se passer si je ne faisais pas assez de chiffre pour payer le loyer et me dégager ne serait-ce qu’un petit revenu ? J’ai quand même signé le bail.
Qu’as-tu découvert avec ta boutique que tu n’aurais pas pu soupçonner avant ? J’ai ouvert mon magasin en 2012, la rue Romarin était en plein essor. Plusieurs créateurs se sont lancés au même moment. Nous nous sommes tous super bien entendus les uns avec les autres. Avant, il y avait des moments où je me sentais un peu seule. Plus maintenant. Nous sommes hyper solidaires, c’est comme une deuxième famille. Certains commerçants ont été comme des mentors pour moi. Ils me rassuraient dans les périodes creuses et me prodiguaient plein des conseils super précieux pour avancer.
As-tu été confrontée à des épreuves qui ont pu te faire douter ? Comment es-tu parvenue à les surmonter ? En tant qu’indépendant tu paies beaucoup de cotisations sociales. Quand je me suis installée, l’administration a mal calculé ma participation en la sous évaluant. En fin de troisième année d’activité, elle est revenue vers moi et m’a informée qu’il y avait eu un problème. Elle m’a réclamé plusieurs milliers d’euros. Elle a ajouté à cela une espèce d’avance sur l’année d’après. Et tout d’un coup, je me suis retrouvée à devoir payer 20 000 euros alors que j’étais en période creuse. Ca a été l’horreur. J’ai arrêté de me payer. J’ai même vidé ma trésorerie pour régler la première échéance. Je ne pouvais même plus acheter mes matières premières. L’administration s’est montrée sans pitié. Le pire, c’est que les années suivantes, elle m’a reversé un trop perçu. Cette histoire m’a fragilisée pendant deux ans. J’étais tout le temps sur le fil et moralement épuisée. Heureusement que j’avais ma famille et mes amis derrière moi. Ils m’ont beaucoup encouragée. Si je n’avais pas eu le soutien de mes parents, je coulais alors que j’avais une activité qui marchait. J’ai tenu bon, c’était mon rêve et je n’avais pas envie d’abandonner mon rêve. Mais je n’ose pas penser à toutes les personnes dans la même situation avec une famille à charge et personne sur qui s’appuyer.
Est-ce que ton processus de création a évolué au cours du temps ? Oui et non. La création, c’est très variable. Parfois, je vois quelque chose – une plante, une image, un rideau etc – et je me dis « tiens, j’aimerais bien essayer de recréer ça avec du cuir ». C’est le cas du modèle Hortensia. J’ai l’ai réalisé après avoir examiné la fleur éponyme sous toutes les coutures. Puis, je me suis mise à mon atelier pour reproduire ce que j’avais observé. Mais ça ne fonctionne pas toujours. Le cuir, ce n’est pas du papier. Tu ne peux pas seulement le plier comme si tu faisais de l’origami. C’est une matière contraignante. Il faut soit la coudre soit la coller. Souvent j’ai des idées mais la mise en œuvre ne suit pas. Il m’est arrivé de laisser tomber une idée, de la reprendre plusieurs mois après en allant dans des directions différentes pour pouvoir finalement sortir une pièce. Il m’arrive aussi de m’installer à mon bureau. Je sors un peu de matière première. Je la regarde. Je vois comment ça m’inspire. Une fois, j’avais un élément métallique qui me faisait penser à la carapace d’un scarabée. Je lui ai rajouté des ailes. Et voilà ! La création d’une pièce peut me prendre plusieurs mois ou quelques minutes.
Des projets ? Oui, je souhaite développer la vente en ligne. Mais je ne sais pas encore quel chemin cela va prendre.
Vous pouvez découvrir les créations de Manon sur son site Internet www.larumeurblonde.com, sur Facebook et si vous habitez Lyon, en poussant la porte du 15, rue Romarin dans le 1er.